S.E. Mme Laura Baeza, Ambassadeur de l’Union européenne à Tunis, honorables invités, permettez-moi d’abord de vous transmettre les salutations chaleureuses du Président de la République et ses vœux de succès à vos travaux dans le cadre de cette troisième rencontre euromaghrébine des écrivains autour du thème « Littérature et frontières ». Aussi, je voudrais exprimer mes remerciements aux organisateurs et notamment à Mme Laura Baeza qui m’a permis de m’adresser à votre assemblée, ne serait-ce que brièvement.
Dans le mot « Frontière », thème de cette rencontre, il y a le mot « front » et je constate que Laura Baeza, au-delà de l’institutionnel, s’est pleinement et personnellement engagée sur tous les fronts : économique, scientifique et technique, diplomatique, culturel, etc. Personnellement, j’ai eu l’occasion de la rencontrer sur le « front médiatique », quand elle a voulu initier une rencontre des professionnels des médias des cinq pays du Maghreb en vue de l’adoption d’un code de déontologie de la presse maghrébine. Elle avait bien voulu me confier la rédaction de ce document et c’est aujourd’hui chose faite, puisque ce code existe et il est même enseigné dans les rédactions et les écoles de formation aux médias à l’échelle de l’ensemble du Maghreb.
La voyant à l’œuvre dans ce domaine, comme dans plein d’autres, j’ai acquis la conviction qu’elle mérite bien le titre de « Femme-frontière », celle qui travaille à favoriser la rencontre, les métissages, les complémentarités et s’attache à faire de la frontière un trait d’union et non un mur infranchissable.
Entendue comme une relation et un espace commun, la frontière est essentielle à l’altérité. Mais elle n’a pas que ce sens positif et créateur de liens puisqu’elle peut signifier les clôtures identitaires qui deviennent de plus en plus meurtrières, ou des clôtures physiques, les murs qui sont devenus de plus en plus nombreux, plus de vingt-cinq nous dit-on, depuis la chute du mur de Berlin.
Ce sont là les effets paradoxaux de la mondialisation. Plus elle enserre le monde dans des réseaux d’échanges, souvent contraints et globalisés, plus elle exacerbe les replis identitaires et les xénophobies de toutes sortes.
Le terrorisme est l’une des expressions les plus abjectes de la mondialisation et l’un de ses travers les plus nocifs : l’enquête menée sur les évènements tragiques survenus en France nous dit qu’ils ont été commandités en Syrie, planifiés en Belgique et exécutés en France.
Le terrorisme est un phénomène planétaire qui se réclame paradoxalement de la spécificité et de l’authenticité. Il entend assigner les peuples à des identités culturelles et religieuses qui favorisent la guerre de tous contre tous. Or, cette prétendue authenticité n’est que l’expression d’une aliénation sociale et mentale où le terrorisme apparaît davantage comme l’une des manifestations de la mondialisation et l’un de ses outils.
Face à ce « Nous » issu de l’assignation à résidence religieuse, d’un héritage fantasmé et d’une « culture » prétendument transmise, il importe d’affirmer et de revendiquer un « Nous » de la volonté commune nourrie aux valeurs humanistes universelles et favorisant les identités transversales et le vivre-ensemble.
La condition de la liberté est de refuser toute assignation identitaire et de se revendiquer en tant que sujet se réclamant de l’universel qu’abritent et expriment les ferments humanistes que contient toute tradition culturelle locale.
Si le terrorisme fait fi des frontières, la liberté aussi les ignore. Nous l’avons vu lors de la Révolution tunisienne : il aura suffi que des voix tunisiennes s’élèvent et appellent à la liberté et à la dignité pour que leur répondent en écho des millions de voix sous tous les autres cieux du monde.
Dans ce contexte, les écrivains ont une responsabilité particulière qui découle de leur art, qui est fondamentalement assaut contre frontière.
Hassan Arfaoui · Conseiller auprès du Président de la République, Chargé des Affaires culturelles · Adviser to the President of the Republic, in charge og Cultural Affairs